Le 15 janvier 2018, les forces de sécurité tunisiennes ont arrêté le militant éminent Kais Bouazizi dans la ville de Sidi Bouzid, après la publication sur son compte Facebook de plusieurs statuts appelant à manifester contre le gouvernement. Son arrestation a suscité un débat politique et social majeur en Tunisie, où les politiciens et les avocats ont condamné cette décision et se sont portés volontaires pour le défendre.
Des militants ont lancé de vastes campagnes sur les réseaux sociaux pour exiger sa libération. Kais Bouazizi est un parent à Mohamed Bouazizi, le jeune tunisien qui s’est immolé par le feu en 2010, devenu pour beaucoup un symbole incarnant un appel à la révolution dans le monde arabe.
Anwar Jawadi, un ami proche de Kais Bouazizi et un militant de la société civile, a déclaré dans une vidéo sur YouTube: « Kais et moi étions assis dans un café comme d’habitude, puis Kais a reçu un appel téléphonique d’un policier l’invitant à se présenter au poste de police pour un interrogatoire sur les récents événements survenus en Tunisie. Nous nous y sommes rendus. Seulement, Kais a été mis en garde à vue ! Il est maintenant derrière les barreaux à cause d’un statut Facebook ! Aujourd’hui, c’est Kais qui a été arrêté. Demain qui sait ce qui pourrait arriver: moi, toi, ou tout autre citoyen qui oserait critiquer le gouvernement actuel (…) après tout ce que nous avons fait pour la liberté d’expression en Tunisie, est-ce le résultat que nous espérons avoir ? La révolution tunisienne est-elle veine? C’est une façon déguisée pour museler des blogueurs et des activistes qui parlent librement. La liberté d’expression est une ligne rouge, alors n’essayez pas de nous réprimer ! »
Le samedi 20 janvier 2018, plusieurs citoyens et des membres de la société civile et politique ont participé à une manifestation devant le siège du gouvernorat de Sidi Bouzid. Une marche pacifique de protestation a été organisée pour réclamer la libération du militant Kais Bouazizi, arrêté depuis une semaine. Kais Bouazizi a été l’un des organisateurs des manifestations qui ont éclaté à Sidi Bouzid dans le cadre de la contestation sociale déclenchée contre la loi de finances de 2018. Il n’a cessé d’appeler les autorités à écouter les jeunes marginalisés et dont les seules revendications s’articulent autour du développement.
La famille de l’activiste arrêté et un certain nombre de ses amis ont confirmé que sa détention était abusive. Ils ont accusé les autorités de faire taire les militants comme Bouazizi, alors que la constitution tunisienne de 2014 garantit la liberté d’expression. Selon son article 31 : « la liberté d’opinion, de pensée, d’expression, d’information et de publication doit être garantie. Aucun contrôle préalable ne peut être exercé sur ces libertés ».
Ces dernières années, Kais Bouazizi a été détenu à plusieurs reprises par les autorités tunisiennes, la plupart étaient sous le régime de la troïka. Les organisations de défense des droits humains ont déjà accusé les forces de sécurité de torture à l’égard de l’activiste. Il a été libéré à l’époque sous la pression des parlementaires et des associations de la société civile.
Le 23 janvier 2018, la défense de Bouazizi, composé de plus de vingt avocats, a tenu ferme contre la proposition du juge de ne retenir que quatre avocats pour les plaidoiries, ce qui a conduit le juge à reporter la procédure à la dernière session. La solidarité s’est également exprimée en dehors des murs du tribunal, avec un rassemblement qui a commencé dès 9h du matin en présence de la famille et des amis de Kais et d’un certain nombre de jeunes de la ville de Sidi Bouzid et de nombreux représentants de la société civile et d’organisations de défense des droits humains. Plus tard, Kais Bouazizi a été finalement libéré. Son frère Zied a déclaré à Access Now: « Je pense que le dernier droit restant dans cette révolution ‘’volée’’ est d’exprimer librement nos pensées. Je considère être détenu ou arrêté tout en défendant ce droit comme une affirmation de dignité. C’est pourquoi nous devons continuer à nous battre parce que le chemin pour atteindre la liberté d’expression est encore très loin. »
Access Now est soulagé par la libération de Kais Bouazizi, mais nous sommes profondément préoccupés par son arrestation en premier lieu, qui semble avoir été motivée par la publication de contenu parfaitement licite sur Facebook. Nous encourageons les efforts de la société civile et des avocats à prêter attention à ce genre de violations des droits fondamentaux et à continuer à se mobiliser pour faire savoir aux autorités que ces actes sont inacceptables. La liberté d’expression est un droit fondamental et tout citoyen devrait pouvoir en profiter et le pratiquer pleinement – en ligne et hors ligne – sans craindre d’arrestations telles que celle de Kais Bouazizi.