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Depuis 2011, la société civile tunisienne s’est considérablement développée. Plus de 24 000 organisations de la société civile sont actuellement enregistrées auprès des autorités publiques, selon les statistiques officielles, bien qu’on ignore le nombre des organisations effectivement en activité. De nombreuses organisations de la société civile œuvrent dans des domaines tels que l’éducation et la vie culturelle. D’autres cherchent à venir en aide aux personnes vulnérables, notamment aux personnes démunies et marginalisées. De plus, la société civile a joué un rôle essentiel dans les initiatives prises après la révolution tunisienne pour permettre une transition vers une société plus libre et plus juste, en introduisant des valeurs telles que les droits humains et l’état de droit dans le débat public et en encourageant les responsables à les intégrer dans les politiques publiques. « Les autorités doivent immédiatement renoncer à étudier plus avant le projet de loi qui a fuité et veiller à ce que tout texte de loi futur visant à réglementer les organisations de la société civile soit strictement conforme au droit international relatif aux droits humains », a déclaré Amine Ghali, directeur du Centre Al Kawakibi pour la transition démocratique. En vertu de la législation actuelle, les personnes peuvent créer une organisation de la société civile bénéficiant automatiquement d’un statut juridique via une simple notification auprès des autorités compétentes. Les articles 10 à 12 du projet de loi qui a fuité rétabliraient l’obligation pour les organisations, en vigueur à l’époque du président Ben Ali, de solliciter une autorisation préalable des pouvoirs publics pour pouvoir mener légalement des activités. Le projet de loi dispose que les associations ne peuvent « menacer l’unité de l’État ni son fonctionnement républicain et démocratique », et que dans les documents qu’elles publient, elles doivent faire preuve d’« intégrité », de « professionnalisme » et respecter les « règles juridiques et scientifiques » – une formulation vague qui risque de donner lieu à une application abusive par les autorités, ont déclaré les organisations. En vertu de la législation actuelle, les organisations de la société civile doivent publier des informations détaillées sur tout financement étranger. L’article 35 du projet de loi qui a fuité imposerait une nouvelle obligation : tout financement étranger devrait être approuvé par la Commission tunisienne des analyses financières, un service de la Banque centrale de Tunisie chargé de lutter contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. La lutte contre le blanchiment d’argent et le terrorisme sont des objectifs légitimes, mais ils ne doivent pas servir de prétexte pour surveiller le financement étranger des organisations de la société civile ni l’interdire via l’imposition d’une autorisation préalable. Selon une enquête menée auprès de 100 organisations de la société civile en Tunisie, publiée en 2018, près des deux cinquièmes des organisations interrogées ont dit s’appuyer soit partiellement, soit principalement sur des financements provenant de l’étranger. Au titre de la législation existante, les organisations de la société civile ne peuvent être dissoutes que sur décision de leurs propres membres, ou des tribunaux si les autorités saisissent la justice. Le projet de loi qui a fuité permettrait aux services du chef du gouvernement de dissoudre sans préavis les organisations de la société civile n’ayant pas mené d’activités depuis un certain temps. Il risquerait également de permettre aux autorités de dissoudre de telles organisations selon leur bon vouloir et en dehors de toute procédure judiciaire, bien que les dispositions du texte à cet égard soient ambiguës. « La liberté d’association – qui comprend le droit de fonder et de faire fonctionner des organisations de la société civile sans ingérence indue des autorités – est un droit humain fondamental, consacré par le droit international et la Constitution tunisienne », a déclaré Alaa Talbi, Directeur exécutif du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux. En vertu de l’article 38 des Lignes directrices sur la liberté de réunion et d’association en Afrique, les gouvernements ne peuvent ni imposer aux organisations de la société civile une interdiction générale des financements provenant de l’étranger, ni soumettre les financements étrangers à une autorisation préalable des pouvoirs publics. Ces lignes directrices reflètent les dispositions de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples, à laquelle la Tunisie est partie. La Tunisie est tenue de respecter, protéger, promouvoir et réaliser le droit à la liberté d’association, énoncé à l’article 22 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et à l’article 10 de la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples. L’exercice de ce droit ne peut faire l’objet que des seules restrictions prévues par la loi et qui sont nécessaires dans une société démocratique – en d’autres termes, les restrictions doivent être aussi limitées que possible et prendre en compte les valeurs fondamentales que sont le pluralisme et la tolérance. Les restrictions « nécessaires » doivent également être proportionnées – c’est-à-dire être soigneusement équilibrées au regard de la raison spécifique pour laquelle elles sont imposées, et ne pas avoir un caractère discriminatoire, notamment en étant imposées pour des motifs tels que l’origine nationale, les opinions politiques ou les convictions. Le 25 juillet 2021, Kaïs Saïed a limogé Hichem Mechichi, alors chef du gouvernement, et a suspendu le Parlement. Le 22 septembre 2021, il a pris le décret présidentiel n° 117 de 2021, qui suspend l’essentiel des dispositions de la Constitution tunisienne, confère au président le droit exclusif de promulguer des textes législatifs par décret, dissout l’Instance provisoire chargée du contrôle de la constitutionnalité des projets de loi et empêche tout recours en annulation dirigé contre des décrets-lois auprès du Tribunal administratif tunisien. Le 12 février 2022, Kaïs Saïed a affaibli l’indépendance de la justice en promulguant un décret-loi dissolvant la plus haute instance judiciaire indépendante du pays, le Conseil supérieur de la magistrature – créé en 2016 pour protéger les juges de l’influence du gouvernement – et conférant au président de vastes pouvoirs lui permettant de s’ingérer dans le fonctionnement de l’appareil judiciaire. Organisations signataires :