Nous, les organisations signataires, ainsi que les membres de la coalition #KeepItOn – un réseau mondial de plus de 334 organisations de défense des droits humains dans 105 pays œuvrant pour mettre fin aux coupures d’Internet – demandons de toute urgence aux autorités de la République démocratique du Congo (RDC) de cesser d’imposer des coupures d’Internet dans les provinces de l’est du pays, dans le cadre du conflit en cours.
Des rapports indiquent que les autorités ont coupé Internet dans et autour de Goma, la capitale du Nord-Kivu, le 23 janvier, alors que les forces rebelles M23 avançaient vers la ville. Les réseaux sociaux X et TikTok auraient également été bloqués dans tout le pays. La récente escalade entre le M23 et les forces gouvernementales congolaises a entraîné des déplacements de population massif, exacerbant la crise humanitaire et submergeant les infrastructures de la ville. Au 1er février, plus de 700 personnes avaient été tuées et des milliers d’autres blessées lors de la récente escalade, selon un porte-parole du gouvernement.
Alors que le conflit entre les rebelles et l’armée continue de s’intensifier, la vie et les droits humains des populations sont de plus en plus menacés en raison de la destruction des infrastructures essentielles du pays et du manque d’accès aux besoins de base tels que l’accès à l’eau et à l’électricité. Comme le souligne le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies (OCHA), « sans le rétablissement complet de l’accès à l’internet, et compte tenu des risques de sécurité qui limitent les mouvements humanitaires, la réponse [humanitaire] reste gravement entravée et les capacités d’intervention considérablement réduites. ».
Les coupures d’Internet pendant les conflits armés mettent en danger la vie des personnes et les empêchent d’accéder à des informations essentielles et vitales. Elles augmentent également la probabilité que les violations des droits de l’homme ne soient pas documentées, car elles limitent la capacité des personnes à enregistrer et à signaler les abus, permettant à leurs auteurs d’échapper à leur responsabilité. En outre, les coupures d’Internet compliquent considérablement le travail des journalistes dans les zones touchées, ce qui compromet leur rôle essentiel d’information du public pour permettre aux audiences locales et internationales d’avoir accès à des informations crédibles et de première main.
Les coupures d’Internet sont disproportionnées et constituent une violation des droits humains garantis par la Constitution de la RDC, notamment les articles 23 et 24, qui défendent la liberté d’expression et le libre accès à l’information. La RDC est également signataire d’accords régionaux et internationaux, tels que la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP) et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui protègent tous deux explicitement le droit à la liberté d’expression et à l’accès à l’information. En 2019, la Déclaration de principes sur la liberté d’expression et l’accès à l’information en Afrique de la CADHP a indiqué que « les États ne tolèrent pas et ne s’impliquent pas dans l’interruption de l’accès à Internet et à d’autres technologies numériques ciblant des segments de la population ou une population toute entière. ». De même, la résolution de 2016 de la CADHP sur le droit à la liberté d’information et d’expression sur Internet en Afrique reconnaît le lien entre les droits humains et la connectivité, exhortant les États membres à garantir et à protéger les droits des personnes à accéder à Internet.
En vertu des principes directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits humains, les entreprises de télécommunications opérant en RDC ont également le devoir de respecter les droits humains dans le cadre de leurs pratiques commerciales. Elles doivent notamment veiller à ce que leurs services ne contribuent pas à des violations des droits humains ou n’exacerbent pas des situations préjudiciables. Ainsi, des entreprises comme Airtel, Vodacom et Orange, qui fournissent des services internet dans la région, ont l’obligation explicite de veiller à ce que l’accès à Internet via leurs réseaux reste ouvert, ininterrompu et sûr, même en temps de crise et de conflit. Toute restriction ou perturbation de la connexion à Internet, en particulier en période de violence accrue, peut contribuer à la violation des droits fondamentaux.
La coalition #KeepItOn exhorte le gouvernement de la RDC, les fournisseurs d’accès Internet dans le pays et tous les acteurs concernés à respecter le droit international des droits humains pendant le conflit en cours, à garantir un accès sans entrave à Internet dans le Nord-Kivu et les autres zones touchées, et à s’abstenir d’imposer d’autres coupures Internet à l’avenir.
Signataires:
- Access Now
- Afia-Amani Grands-Lacs
- AfricTivistes
- Africa Open Data and Internet Research Foundation (AODIRF)
- African Freedom of Expression Exchange (AFEX)
- Africa Internet Rights Alliance
- ARTICLE 19 Eastern Africa
- Bloggers Association of Kenya (BAKE)
- Centre for Community Empowerment and Development
- The Collaboration on International ICT Policy for East and Southern Africa (CIPESA)
- Common Cause Zambia
- Computech Institute
- Digital Woman Uganda
- Digital Access
- FORUMVERT
- Haki na Sheria Initiative
- Human Rights Journalists Network Nigeria
- Internet Sans Frontières
- Internet Society DRC Chapter
- Internet Society Ghana Chapter
- International Press Centre (IPC)
- International Press Institute
- JCA-NET(Japan)
- Kijiji Yeetu
- Kurdistan Without Genocide
- Life campaign to abolish the death sentence in Kurdistan
- Media Foundation for West Africa (MFWA)
- Nothing2Hide
- OONI (Open Observatory of Network Interference)
- Open Secrets
- Organization of the Justice Campaign
- Paradigm Initiative (PIN)
- PEN America
- Reclaiming Spaces Initiative Uganda
- RFK Human Rights
- Rudi International
- Skyline International for Human Rights
- Southeast Asia Freedom of Expression Network (SAFEnet)
- Ubunteam
- Webfala Digital Skills for all Initiative
- West African Digital Rights Defenders Coalition
- YODET
- Zaina Foundation