À l’attention de Son Excellence Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, Président de la République Démocratique du Congo (RDC).
CC : M. Patrick Muyaya Katembwe, Ministre de l’Information et de la Communication et porte-parole du gouvernement ; M. Désiré-Cashmir Eberande Kolongele, Ministre du Numérique ; M. Denis Kadima Kazadi, Président de la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI) ; M. Dieudonné Amuli Bahigwa, Commissaire Général de la Police Nationale Congolaise (PNC) ; M. Dieudonné Badibanga Kamuleta, président de la Cour Constitutionnelle de la RDC ; M. Christophe Mboso N’Kodia Pwanga, Président de l’Assemblée Nationale de la République Démocratique du Congo ; M. Muriel Mwewa Kangoyi, Présidente de la Haute Autorité des Médias (HAM) ; M. Christian Katende, Président de l’Autorité de Régulation des Postes, des Télécommunications et des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication (ARPTC) ; M. Khalil Al Americani, Président Directeur Général de Vodacom RDC ; M. Ziad Dalloul, Président du Conseil d’Administration d’Africell RDC ; M. Yves Matungulwa, Président Directeur Général d’Orange RDC ; et M. Alain Kahasha, Président Directeur Général du groupe Airtel RDC.
Les nations à travers l’Afrique et dans le monde doivent s’assurer que les gens peuvent accéder à un internet ouvert, sécurisé et gratuit quand ils en ont le plus besoin – pendant les événements nationaux importants. Lors de cette élection, nous exhortons le gouvernement de la RDC à #KeepItOn.
Nous, les organisations soussignées et membres de la coalition #KeepItOn – un réseau mondial qui réunit plus de 300 organisations de 105 pays travaillant à mettre fin aux coupures d’internet – écrivons pour vous lancer un appel, Excellence M. le Président Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, à vous engager publiquement à garantir au peuple de la République démocratique du Congo (RDC) un accès sans entrave à internet, aux plateformes de médias sociaux et à tous les autres canaux de communication tout au long des prochaines élections générales du 20 décembre 2023.
Alors que la population de la RDC se prépare à voter, il est essentiel que votre gouvernement adopte et donne la priorité à des mesures qui font progresser les droits de l’homme, en permettant un accès illimité à l’information et en ouvrant des voies pour la liberté d’expression, de réunion et d’association- à la fois hors ligne et en ligne. Cela contribuera également à un processus électoral inclusif, libre et équitable.
Internet et les plateformes de médias sociaux jouent un rôle essentiel dans le renforcement de la gouvernance participative, la promotion de l’inclusion et de la transparence, et la jouissance des droits de l’homme fondamentaux dans une société démocratique – tous des principes consacrés par les articles 23 et 24 de la Constitution de la RDC. Ces plateformes permettent un débat public sur les processus électoraux et les candidats politiques, et permettent aux électeurs de tenir les gouvernements responsables de leurs actions. L’accès à l’internet et aux plateformes numériques facilite également le reportage, le suivi et la couverture des élections par les journalistes, les défenseurs des droits de l’homme et les observateurs électoraux. Étant donné que les observateurs électoraux de l’Union Européenne ainsi que d’autres groupes d’observation, n’ont pas été impliqués dans la période électorale de 2023 en RDC, il est plus vital que jamais de protéger des canaux de communication clairs et ouverts qui aident à maintenir la transparence et l’intégrité.
Historique des coupures d’internet en RDC
Lors des élections de décembre 2018, les autorités de la RDC ont coupé l’accès à internet et les services de SMS pendant 20 jours, arguant de la nécessité de préserver l’ordre public et d’empêcher la circulation de faux résultats électoraux. Cependant, selon les rapports de l’ONU, cette coupure a empêché les observateurs électoraux et les témoins dans les bureaux de vote éloignés de communiquer avec les centres principaux qui recueillent les résultats des élections. Le gouvernement de la RDC a également utilisé l’arme des coupures d’internet entre 2017 et 2018, pour tenter d’étouffer les manifestations nationales appelant le Président Kabila à quitter le pouvoir après l’expiration de son mandat en 2016.
Les coupures d’internet portent atteinte aux droits de l’homme, amplifient les crises et empêchent la libre circulation de l’information.
Les recherches montrent que les coupures d’internet et la violence vont de pair. La coupure de l’internet en période de conflit, de protestation ou d’urgence sanitaire limite non seulement la disponibilité d’informations vitales, opportunes et susceptibles de sauver des vies, mais aussi l’accès aux services d’urgence. En perturbant la libre circulation de l’information, les coupures peuvent exacerber les tensions existantes, inciter à la violence et aux violations des droits de l’homme perpétrées par des acteurs étatiques et non étatiques, ou les dissimuler, et favoriser la diffusion de fausses informations.
Les coupures rendent également la tâche des journalistes à faire des reportages sur le terrain extrêmement difficile, privant ainsi les gens, qu’ils soient en RDC ou à l’étranger, d’un accès à des informations crédibles. La coupure de l’internet empêcherait également les principales parties prenantes, notamment la Commission Électorale Nationale Indépendante (CENI), les observateurs électoraux nationaux et internationaux, les candidats des partis politiques et les acteurs de la société civile, de suivre de près le processus électoral.
L’imposition de coupures d’internet interfère également avec les moyens de subsistance des personnes et a un effet négatif sur des économies entières. En effet, les coupures peuvent coûter des milliards de dollars aux nations, les entreprises, les organisations publiques et les institutions privées qui dépendent de l’économie numérique ce qui engendre la perte d’énormes sommes d’argent lorsqu’elles se produisent.
Les coupures d’internet contreviennent au droit international
La RDC est signataire de cadres régionaux et internationaux tels que le Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques (PIDCP) et la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, qui prévoient la protection et la promotion des droits à la liberté d’opinion et d’expression, à la liberté de réunion et à l’accès à l’information – à la fois hors ligne et en ligne. En outre, la RDC est un État partie à la Charte Africaine de la Démocratie, des Elections et de la Gouvernance, qui appelle à la promotion de la démocratie, de l’État de droit et des droits de l’homme pendant les élections. En outre, la Déclaration de Principes sur la Liberté d’Expression et l’Accès à l’Information en Afrique 2019 appelle les États à ne pas “tolérer ou s’impliquent dans l’interruption de l’accès à Internet et à d’autres technologies numériques ciblant des segments de la population ou une population toute entière”.La résolution de 2016 de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples (CADHP) reconnaît ” l’importance de l’Internet pour faire avancer les droits de l’homme et des peuples en Afrique” et exprime sa préoccupation quant à ” la pratique émergente des États parties consistant à interrompre ou limiter l’accès aux services de télécommunication comme l’Internet, les médias sociaux et les services de messagerie”. En outre, lesecrétaire général des Nations unies et d’autresexperts ont affirmé que “les coupures générales d’internet ainsi que le blocage et le filtrage génériques des services sont considérés par les mécanismes des droits de l’homme des Nations unies comme une violation du droit international relatif aux droits de l’homme”.
Les entreprises de télécommunications doivent respecter les droits de l’homme
En vertu des Principes Directeurs des Nations Unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme et des principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales, les entreprises de télécommunications ont la responsabilité de respecter les droits de l’homme, de prévenir ou d’atténuer les préjudices potentiels et de réparer les préjudices qu’elles causent ou auxquels elles contribuent. Les fournisseurs de services de télécommunications et d’internet opérant en RDC – notamment Vodacom, Africell, Orange et Airtel – ont la responsabilité de fournir un accès de qualité, ouvert et sécurisé à l’internet et aux outils de communication numérique.
Les coupures d’internet – que ce soit en RDC ou ailleurs – mettent en péril les droits de l’homme et ne doivent jamais devenir une norme. Nous encourageons les entreprises de la RDC à intégrer les principes de l’ONU et les lignes directrices de l’OCDE lorsqu’elles répondent à des demandes de censure et de perturbation du réseau sur tous les marchés où elles opèrent.
Recommandations
En tant qu’organisations qui défendent l’internet et les plateformes numériques en tant que catalyseurs des droits de l’homme, nous vous appelons à :
- Assurer publiquement à la population de la RDC que l’internet, restera ouvert, accessible, inclusif et sécurisé avant, pendant et après les élections ;
- S’abstenir d’ordonner la perturbation des services de télécommunications, des plateformes de réseaux sociaux ou d’autres plateformes de communication numérique pendant toute la durée des élections ;
- Veiller à ce que les opérateurs de télécommunications et les fournisseurs d’accès à internet (FAI) mettent en œuvre toutes les mesures nécessaires pour fournir un accès à Internet de haute qualité, sécurisé, illimité et sans interruptions durant et après la période électorale, conformément à leurs conditions de qualité de service et de licence ; et
- Veiller à ce que les opérateurs de télécommunications et les fournisseurs d’accès à internet informent la population de la RDC de toute perturbation potentielle et prennent toutes les mesures raisonnables pour remédier à toute perturbation identifiée susceptible d’avoir un impact sur la qualité de leurs services.
Veuillez nous faire savoir comment la coalition #KeepItOn peut vous soutenir pour défendre un internet libre, ouvert, sécurisé, inclusif et accessible à tous en RDC.
Nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de nos sentiments les plus distingués
Sincèrement,
Organisations
- Access Now
- African Freedom of Expression Exchange (AFEX)
- Africa Freedom of Information Centre (AFIC)
- Africa Media and Information Technology Initiative (AfriMITI)
- Africa Open Data and Internet Research Fou dating (AODIRF)
- AfricTivistes
- Avocats Sans Frontières France (ASF France)
- Bloggers Association of Kenya (BAKE)
- BloGoma (Blogosphère Gomatracienne)
- Campaign for Human Rights and Development International (CHRDI)
- Center for Media Studies and Peacebuilding (CEMESP-Liberia)
- Center for the Advancement of Rights and Democracy (CARD Ethiopia)
- Collaboration on International ICT Policy for East and Southern Africa (CIPESA)
- Committee to Protect Journalists (CPJ)
- Common Cause Zambia
- Computech Institute
- Core23lab-Democratic Republic of Congo
- Digital Rights Lab – Sudan
- Digital Rights Lawyers Initiative (DRLI)
- Friends of Congo Brazzaville
- Gambia Press Union (GPU)
- Give1Project Gambia
- Haki na Sheria
- Human Rights Network For Journalists- Uganda
- JCA-NET(Japan)
- Jonction, Sénégal
- Kenya ICT Action Network (KICTANet)
- Kijiji Yeetu
- International Press Institute (IPI)
- Internet Protection Society (Russia)
- Lastmile4d
- Life campaign to abolish the death sentence in Kurdistan
- Media Foundation for West Africa (MFWA)
- Media Institute of Southern Africa (MISA Zimbabwe)
- Media Rights Agenda (MRA)
- Miaan Group
- NGO IGBANET
- Office of Civil Freedoms
- OpenNet Africa
- Open Observatory of Network Interference (OONI)
- Organization of the Justice Campaign
- Paradigm Initiative (PIN)
- PEN America
- Reporters Without Borders (RSF)
- Rudi International
- Sassoufit collective
- Single Mothers Association of Kenya (SMAK)
- SOAP
- Support Center for Rural and Community Development (CADERCO)
- Ubunteam
- Unwanted Witness
- Webfala Digital Skills for all Initiative
- Wikimedia Uganda
- Women of Uganda Network (WOUGNET)
- Women ICT Advocacy Group (WIAG)
- Youths and Environmental Advocacy Centre (YEAC-Nigeria)
- Zaina Foundation – Tanzania
Pour plus d’information, veuillez contacter:
Felicia Anthonio | Responsable de la Campagne #KeepItOn | [email protected]