Selon des rumeurs circulant depuis peu, les trois opérateurs de télécommunications tunisiens, Tunisie Telecom, Orange, et Ooredoo, pourraient conclure un accord limitant l’accès de leurs clients aux services de voix sur IP (également appelé VoIP). Si cette information se vérifie, ledit accord aurait un impact considérable sur la liberté d’expression des utilisateurs en ligne.
Blocage à la compétition
L’information révélée le 13 Septembre dernier par le canal de télévision français, France 24, indique que les utilisateurs tunisiens devront souscrire des services téléphoniques post-payés ou des contrats mobiles professionnels afin de pouvoir accéder à des services comme Skype ou Viber sur des connexions mobile 3G, alors qu’ils étaient auparavant disponibles via n’importe quel abonnement mobile.
Cette décision a été prise à la suite d’une prétendue baisse des revenus, due selon les opérateurs à l’utilisation massive par leurs clients des services VoIP permettant de passer des appels internationaux gratuitement. Alors que la presse a affirmé que l’institut national des télécommunications (INT) soutiendrait cet accord passé entre les opérateurs de télécommunications, l’INT a récemment publié un communiqué dans lequel il indique n’avoir pas reçu de demande formelle de la part des opérateurs pour la mise en œuvre d’un tel changement et fera en sorte que les opérateurs télécoms respectent leurs obligations envers la neutralité du net.
Les compagnies de téléphonie affirment que cet accord ne conduira pas à un blocage d’applications, puisque les services VoIP seront toujours disponibles par le biais d’abonnements mobiles spécifiques. Pourtant, la grande majorité des utilisateurs en Tunisie, disposant d’abonnements prépayés, ne sera plus en mesure d’accéder à ces services. En effet, une étude a démontré qu’en 2013, 95% des clients mobiles tunisiens disposaient d’un abonnement prépayé avec leur opérateur de télécommunications.
Les gardiens d’internet
Peu de temps après que cet accord ait été révélé au public, l’organisation tunisienne de défense du consommateur (ODC) a annoncé qu’elle allait engager des poursuites judiciaires contre cette mesure anti-compétitive. Le ministre des Technologies a également publié une déclaration afin de rappeler aux opérateurs de télécommunication les responsabilités qui leur incombent selon le décret 3026 indiquant que “les opérateurs de télécommunications ont l’obligation légale d’assurer la continuité des services dans les meilleures conditions, sans aucune intervention sur le type de contenu ou d’applications en cours d’exécution sur leurs réseaux.”
Alors qu’Orange et Ooredoo ont été vivement critiqués par le passé lors de la mise en place de blocage de Skype sur les connexions mobiles (voir ici et ici), ces compagnies vont désormais vers la mise en œuvre d’encore un autre accord qui entravera considérablement la liberté d’expression et la capacité des citoyens à communiquer. En empêchant l’accès à certains contenus et applications spécifiques à travers des discriminations commerciales, les opérateurs télécoms deviendraient les gardiens d’internet. Un tel environnement nuit grandement à l’innovation puisqu’il réduit la possibilité pour de nouveaux acteurs d’entrer sur le marché.
Etapes à venir
Cet accord pourrait voir le jour dès Octobre en Tunisie. Cette proposition fait écho à plusieurs propositions élaborées par les opérateurs télécoms à travers le monde dans le but de limiter leurs pertes économiques. Alors que l’Europe voit éclore des prétendus “services spécialisés” de toutes parts, aux Etats-Unis, la Commission Fédérale des Communications (FCC pour ces sigles en anglais) examine en ce moment une proposition qui autoriserait la création d’un internet à deux vitesses. Ces propositions ont soulevé l’inquiétude des citoyens et de la société civile dans le monde entier, donnant lieu à de nombreuses manifestations et de campagnes de sensibilisation (voir ici, ici et ici) afin d’empêcher la mise en place de nouvelles mesures discriminatoires en ligne.
L’apparition de ces différentes propositions discriminatoires démontre plus que jamais le besoin de garantir globalement l’accès à un internet neutre. Rendez-vous ici pour en savoir plus sur la lutte mondiale pour la neutralité du net.